«Et c’est aussi le cas si on a attendu trop longtemps», poursuit Alexander Saverys, même si le CEO de la Compagnie Maritime Belge d'Anvers a tout mis en œuvre pour préparer son entreprise et le transport maritime à un avenir durable. L’homme, dont la mission est bien définie, s’attelle à faire de son entreprise de transport de combustibles fossiles un pionnier de la transition énergétique.
«Beaucoup ont pris conscience de l’urgence d’agir dès aujourd'hui, mais se trouvent encore trop facilement des excuses. Pour faire évoluer un tant soit peu un secteur conservateur comme le transport maritime, il faut vraiment oser nager à contre-courant. Mieux vaut tard que jamais. Je cite toujours en modèle Al Gore et son film 'Une vérité qui dérange' et cette adolescente, Greta Thunberg, des pionniers qui ont réussi à mettre les ambitions climatiques à l'ordre du jour des conseils d'administration de quantité de grandes entreprises. Quand j'étais encore sur les bancs de l'école, on parlait déjà du réchauffement climatique. Le temps des palabres est terminé. Il est devenu urgent d’agir.»
Saverys sait mieux que quiconque que le secteur du transport maritime a deux grands défis à relever. «Sur les 12 milliards de tonnes de marchandises que nous transportons chaque année par voie maritime, il y a 42 à 43% de pétrole, de charbon et de gaz naturel. Pour garder sa pertinence et assurer sa pérennité d’ici à 50 ans, notre entreprise doit délaisser les combustibles fossiles au profit d’autres cargaisons. Prenons le cas du diesel qui fait avancer nos navires. Chaque année, notre secteur en consomme quelque 300 millions de tonnes, soit 3% des émissions totales de CO2.
«Autre statistique très intéressante: sur les 8 milliards d'habitants que compte la planète aujourd'hui, 5 milliards ont moins de 40 ans. Ces jeunes sont nos clients d’aujourd'hui, pas de demain. Eux aussi attendent de nous que nous agissions. Je le constate aussi dans les entretiens d’embauche où les candidats me demandent ce qui pourrait les motiver à venir travailler chez nous. C'est le monde à l’envers. Mais c’est ainsi: notre approche ESG est déterminante pour recruter des forces vives, et les garder. Et, là encore les beaux discours ne suffisent pas. Il faut des actes.»
Un gros embouteillage est parfois propice à la naissance d’idées de génie. Un matin de 2016, Saverys se retrouve bloqué dans un énième bouchon sur son trajet habituel entre Gand et Anvers. «J'ai eu deux heures pour réfléchir. Je suis arrivé au bureau en claironnant que nous devrions construire un petit bateau-navette pour relier la rive gauche à la rive droite. Et qu’il serait alimenté à l’hydrogène. Les gens m'ont regardé bizarrement. «On ne navigue qu’en haute mer. Un bac à l'hydrogène ne risque-t-il pas d’exploser?», m’a-t-on répondu. Avec Hydroville, le premier bateau-navette à l’hydrogène agréé pour le transport de passagers, nous avons prouvé que cette technologie fonctionne bien à petite échelle. Sept ans plus tard et avec un carnet de commandes d’une quarantaine de navires, tous alimentés à l'hydrogène ou à l'ammoniac, cette stratégie ascendante a porté ses fruits. Par choix, nous ne nous sommes pas fixé de délais, mais au plus tard en 2050, nous tenons à ce que notre flotte soit alimentée à 100% par des carburants verts.»
Cela ne suffit pas à assouvir la soif de durabilité de la CMB. Parallèlement, le groupe de transport maritime a lancé un ambitieux projet pilote de production d'hydrogène en Namibie. La construction d'une usine d'ammoniac vert devrait commencer d'ici à la fin de l'année. «Quand on brûle de l'ammoniac, on n'émet pas de CO2. Pourquoi la Namibie? Parce qu'il y a beaucoup d'espace, de soleil et de vent. La Namibie se trouve également sur l'une de nos principales routes maritimes, ce qui en fait le lieu idéal pour ravitailler nos navires en hydrogène et en ammoniac verts. Cette plate-forme est aussi la plaque tournante idéale pour exporter des molécules aux acteurs de la chimie du port d'Anvers.»
Saverys est persuadé qu’avec cette approche, son entreprise est sur la bonne voie, tant pour la pérennité de son activité que pour celle du transport maritime. «Pourtant, je constate que beaucoup de chefs d'entreprise hésitent encore à jouer la carte de l’ESG. Pour vous donner un ordre d'idée, il faudrait débourser 1.500 milliards de dollars d'ici à 2050 pour «verdir» le transport maritime. Énorme? Pas tant que ça quand on sait que l'industrie pétrolière et gazière injecte annuellement 900 milliards de dollars dans l'extraction des combustibles fossiles.»
«L'ESG est-il un mot tendance? Je pense qu’on n’en parlera plus dans cinq ans, étant donné que toutes les entreprises doivent se doter d’une politique de développement durable. Ce sera la règle et plus l'exception», conclut Alexander Saverys.
Alexander Saverys
CEO de la Compagnie Maritime Belge
Alexander Saverys