Frank Maet
Senior Macro Economist @Belfius
Véronique Goossens
Chief Economist @Belfius
La batterie quotidienne de statistiques fiables sur le Covid-19 est devenue d’un intérêt vital pour élaborer de bons modèles et lutter efficacement contre la pandémie. Les économistes aussi s'y intéressent et utilisent plus que jamais des données économiques à haute fréquence pour pouvoir évaluer la situation. En effet, étant donné la chute brutale de la production économique et la reprise en dents de scie, les traditionnels chiffres relatifs à l’économie ne suffisent plus pour savoir ce qui se passe. Comme nous avons pu le constater le mois dernier, l’optimisme peut très vite se transformer en une vision négative de la situation économique, et inversement. Les données officielles vont jusqu’en septembre, bien avant que la deuxième vague de l’épidémie n’entraîne de nouvelles mesures de confinement. Les décideurs politiques et les économistes ont donc besoin de chiffres qui soient disponibles rapidement, et qui donnent une image plus actuelle que les rapports traditionnels, publiés seulement une fois par mois ou par trimestre.
De nombreux termes désignent ce genre de données : high-frequency data, alternative data ou – plus succinct – alt data. Quelques exemples : les chiffres concernant l’utilisation des cartes de paiement, la consommation d’énergie et le trafic routier. Aux USA, on utilise des images satellite pour compter les voitures sur les parkings des chaînes de supermarchés ou des usines. Des satellites suivent également des navires et mesurent l’activité dans les ports et les champs pétrolifères.
Au stade actuel de la récession, les chiffres de Google (*) relatifs à la mobilité des particuliers constituent un précieux baromètre. Ils suggèrent que –par rapport à une période d’activité normale - les confinements actuels pèsent moins lourd sur l’économie européenne que lors de la première vague de la pandémie. Le volume du trafic et l’utilisation des transports publics ont chuté, surtout en France et en Italie, reflétant ainsi les restrictions imposées en matière de déplacements entre des régions de ces deux pays. En date du 15 novembre, le trafic dans les artères commerçantes de France et de Belgique était inférieur à la normale à raison de respectivement 58 et 55% (voir graphique), alors qu'au plus fort de la première vague, la baisse était de plus de 80%. C’est en Allemagne que la mobilité a le mieux résisté, ce qui laisse à penser que le préjudice pour l’économie allemande au quatrième trimestre devrait s’avérer moins important que dans le reste de la zone euro.
Durant la dernière décennie, le marché des données alternatives a véritablement explosé. La croissance de l’utilisation d’Internet et la digitalisation des sociétés ont entraîné un raz-de-marée d'informations. Mais ce qui est crucial, c’est que la capacité à les traiter plus rapidement et à moindre coût a également progressé ces dernières années, grâce à la puissance de calcul accrue des ordinateurs. Depuis plusieurs années déjà, de grands groupes d'investissement et des fonds spéculatifs utilisent des données alternatives dans leurs analyses. Plus récemment, des banques centrales telles que la Bank of England et la Bundesbank ont également intégré des données à haute fréquence dans leurs calculs. Grâce à des applications web comme Google Trends, les investisseurs ordinaires ont également accès à des données auxquelles seuls des investisseurs professionnels avaient recours auparavant. Pas besoin d’être économiste pour prévoir que, même après le Covid-19, l’utilisation de données économiques alternatives sera une tendance pérenne.
(*): https://www.google.com/covid19/mobility/