21 avril 2022

 

Nicolas Deltour
Head of Investment Strategy

 
Alors que des derniers jours annoncent ce qui pourrait bien être la bataille du Donbass, et que les offensives russes redoublent dans les territoires de l’Est ukrainien, une autre guerre continue de se jouer en silence: celle de la solvabilité de l’Etat russe. Cette solvabilité est sur le point de vaciller.

Coup d’œil sur la chronologie de la guerre de la dette russe


  • 2014

Pour comprendre les ressorts de la guerre de la dette, il faut remonter au conflit précédent, à savoir l’annexion de la Crimée, en 2014.


À l’époque, L’Union Européenne prend déjà des sanctions financières, dont le gel des avoirs de certaines personnalités russes, puis l’interdiction aux crédits européens pour les principaux groupes pétroliers russes et le blocage de tout échange financier avec les 5 grandes banques d’Etat.


Des 2014 à 2017, les autres grandes puissances économiques, Etats-Unis en tête, prennent des mesures équivalentes.


Les conséquences sont peu médiatisées, et pourtant: la plupart des Russes perd 10% de ses revenus; près d’un Russe sur six tombe dans la misère.


Vladimir Poutine en tire les premières leçons. Il prépare la suite en incitant les banques russes à provisionner des réserves de devises, dans une ampleur sans précédent. La résilience du système financier russe durant les premières semaines du conflit de 2022 n’est pas un hasard.


  • 2017-2019

En 2017, Vladimir Poutine est réélu. Il promet de diviser par deux la pauvreté dans le pays. Le ton officiel est à la réouverture, au souffle nouveau. Emmanuel Macron échange avec le président russe; le mot «désescalade» est régulièrement prononcé. Vladimir Poutine associe fin de restrictions économiques et possible rebond du niveau de vie, gage de stabilité, et donc de paix dans le monde.


  • 2022

Suite à l’invasion de février 2022, de nouvelles sanctions sont prises, à l’échelle mondiale. Leur ampleur est sans précédent, et sans doute sous-estimée par la Russie.


Parmi celles-ci, le blocage des avoirs de la Banque Centrale Russe, dans une action concertée de l'Union européenne, du Royaume-Uni, des États-Unis et du Canada.


Durant les premières semaines, la Russie tient bon. Le Rouble dévalue rapidement, le taux directeur russe passe à 20%. Cependant, les immenses réserves suppléent aux besoins prioritaires.


La situation actuelle


Les mois de mars et d’avril annoncent cependant un tournant, amorcé par de nouveaux renforcements des mesures; l’élargissement du périmètre du gel des avoirs, l’exclusion du système SWIFT, etc. vont continuer d’étrangler la trésorerie russe.


En exigeant que son pétrole soit payé en roubles, Vladimir Poutine se prive d’une rentrée de devises internationales. Et donc, de ressources pour payer les coupons des obligations d’Etat russes, libellées en devises fortes. Car les Etats-Unis ont saisi la balle au bond, en interdisant aux banques américaines de procéder aux paiements en dollars sur la dette russe à partir des comptes de Moscou établis chez elles.


Pour la Russie, les dollars deviennent introuvables.

Une posture devenue intenable


L’Etat russe a réglé en roubles des échéances dues le 4 avril. Pourtant, cette opération est illégale: les coupons auraient dû être réglés en dollars au vu des contrats obligataires initiaux.


La possibilité d’un règlement dans une devise autre que le dollar existe pour certaines obligations émises après 2018, mais pas pour les émissions plus anciennes.


Pour les obligations émises avant 2018, une dette en dollar reste une dette en dollar.


La Russie avait un mois pour régulariser. Au 4 mai, sauf changement de réponse, elle sera considérée comme en défaut de paiement. Et ce, de manière officielle.

Il s'agirait d'une première pour la Russie depuis la révolution de 1917.


Les conséquence pour les investissements


Les conséquences pour la Russie seront catastrophiques: le pays perd sa crédibilité auprès des rares investisseurs qui daignaient encore lui avancer des fonds en devises fortes.


Quelles sont les conséquences d’un tel défaut pour les portefeuilles de nos clients? Dans l’écrasante majorité des cas, aucune.


Les obligations russes sont en général absentes de nos portefeuilles généralistes, et cela fait près de deux mois que ce type d’émission est sorti des fonds spécialisés. Les très rares résidus, devenus invendables, avaient déjà une valorisation pratiquement nulle.


Qu’en est-il de la dette émergente?


Le poids de la dette russe dans le marché obligataire émergent a pu être matériel par le passé, il ne l’est plus aujourd’hui. Les principaux fonds ont été nettoyés en temps et en heure. Les poids lourds de cet univers particulier sont l’Amérique latine et l’Asie, des zones relativement moins concernées par le conflit entre la Russie et l’Ukraine.


La hausse des prix de certaines matières premières est d’ailleurs favorable aux économies d’Amérique du Sud, tandis que l’Asie pourrait être tirée par la politique accommodante de la Banque Centrale chinoise.


Les obligations émergentes, dans une approche diversifiée, sont d’ailleurs surpondérées dans les portefeuilles-types de Belfius.


Conclusion

L’autre guerre, la guerre financière, est sur le point de prendre un tournant. La Russie est proche du défaut, ce qui pourrait accélérer l’assèchement de ses ressources financières, faute de crédibilité auprès de ses derniers bailleurs de fonds.


L’investisseur belge est peu impacté, et peut trouver, pour autant que son profil de risque le lui permette, de la valeur dans les obligations des autres pays émergents.

 
Ce document, rédigé et publié par Belfius Banque, donne la vision de Belfius Banque sur les marchés financiers. Il ne contient pas de conseil en investissement personnalisé, pas de recommandation d’investissement, ni de recherche indépendante en matière d’investissement. Si vous êtes à la recherche de conseils en investissement personnalisés, vous pouvez vous adresser à votre conseiller financier qui se fera un plaisir d’examiner avec vous les effets éventuels de cette vision sur votre portefeuille d’investissements personnel. Les chiffres mentionnés sont des instantanés et sont susceptibles d’évoluer.
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