Annelore Van Hecke
Senior Macro Economist @Belfius
Véronique Goossens
Chief Economist @Belfius
La crise du Covid-19 semble avoir modifié pour de bon la vision sur la mondialisation et les chaînes de production éparpillées dans le monde entier. Les entreprises ont été confrontées à des problèmes d’approvisionnement en provenance des zones touchées, mais les autorités ont également réalisé subitement qu’elles dépendaient de l’étranger pour la production de médicaments vitaux et de matériel de protection médicale. La crise du Covid-19 signifie-t-elle la fin de la mondialisation?
Lorsque nous examinons les flux commerciaux internationaux, nous voyons que la mondialisation est sous pression depuis déjà plus longtemps. Le commerce mondial se stabilise depuis la récession de 2008-2009. L’U.E. en est l’exception, grâce à une augmentation du commerce entre les États membres de l’U.E.
Le ralentissement de la croissance du commerce international s’explique par différents facteurs. D’une part, la part des exportations dans le PIB chinois ne cesse de diminuer parce que les Chinois consomment toujours plus eux-mêmes et que la demande domestique est devenue proportionnellement plus grande. D’autre part, le protectionnisme s’est accru ces dernières années, avec entre autres la guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine et le Brexit. Enfin, les coûts environnementaux des longues chaînes font l’objet d’une plus grande attention.
Le Covid-19 n’est donc pas la cause de la tendance à la démondialisation mais, selon les prévisions, il l’accélérera. Les pouvoirs publics mèneront une politique en vue de reprendre eux-mêmes en main des secteurs stratégiquement importants comme l’industrie pharmaceutique et la technologie haut de gamme (dans l’intérêt de la sécurité nationale). Mais les dirigeants d’entreprise aussi envisagent de rapatrier la production en raison du risque de problèmes d’approvisionnement. À ce propos, une aide financière peut les faire changer d’avis, pensons à la politique dite de "reshoring" de pays comme le Japon et la France, qui, dans le cadre de leur politique de relance, prévoient une aide spéciale pour les entreprises qui reviennent au pays. Le Royaume-Uni a déjà aussi créé une "reshoring agency".
Dans les secteurs stratégiquement importants et pour les entreprises individuelles, cela peut être une bonne chose de relocaliser leur production, mais ce n’est pas toujours le cas. La proximité des débouchés est importante. C’est ainsi que des entreprises européennes ne se retireront pas rapidement de la Chine, car elle est potentiellement le plus grand marché de consommation du 21e siècle. La relocalisation peut aussi faire augmenter considérablement le coût de production (coûts salariaux), si l’automatisation ou la robotisation de la production n’est pas possible, ce qui fait pression sur le "return on investment" pour les investisseurs. Et, il ne faut bien sûr pas non plus oublier les mérites de la mondialisation, comme les hausses impressionnantes de productivité et l’amélioration de notre bien-être. La Belgique, en tant que petite économie ouverte, a certainement tout intérêt à ce que le commerce international soit florissant. Non seulement une grande partie de notre richesse et de nos emplois est directement ou indirectement liée à ce commerce international, mais le marché belge est aussi trop restreint pour réaliser notre bien-être actuel uniquement au niveau local.
La crise du Covid-19 pèsera sur le commerce international, mais nous ne voyons pas de tendance marquée à la démondialisation. Des secteurs stratégiquement importants comme l’industrie pharmaceutique ne représentent qu’une petite partie du commerce mondial. En outre, on assiste à une tendance à la régionalisation, où les chaînes de production ne sont pas ramenées au pays mais sont rapprochées, au sein d’un même bloc européen comme l’Union européenne (relocalisation vers l’Europe centrale ou de l’Est) ou l’ALENA en Amérique du Nord (relocalisation vers le Mexique ou le Canada).