8 Avril 2022
Frank Maet
Senior Macro Economist @Belfius
Véronique Goossens
Chief Economist @Belfius
À une large majorité, le Parlement européen a exigé hier d'élargir au pétrole et au gaz l'interdiction récente d’importer du charbon russe. De ce fait, les tensions s’intensifient sur les marchés pétroliers internationaux. Le monde est déjà confronté actuellement à une terrible pénurie de pétrole. Les États membres de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) vont dès lors à nouveau ponctionner 60 millions de barils dans leurs réserves stratégiques. À cela s’ajoutent les 180 millions de barils annoncés la semaine dernière par les USA.
Depuis l’invasion russe en Ukraine, le marché pétrolier est fortement perturbé et le prix de l'or noir a flambé en un rien de temps. La Russie est le deuxième exportateur mondial de pétrole brut et exporte également de nombreux produits pétroliers raffinés, tels que le diesel et le mazout. Les USA et le R-U boycottent déjà les importations de pétrole et de gaz russes depuis le mois de mars. De grandes entreprises pétrolières n’osent plus acheter de pétrole russe par crainte pour leur réputation. Selon l’AIE, les embargos existants contre la Russie entraînent une baisse de l’approvisionnement mondial d’environ 3 millions de barils par jour. L'annonce que les USA et d'autres pays recourent à leurs réserves pétrolières stratégiques a fait légèrement baisser le prix du pétrole, mais un baril de pétrole Brent-Mer du Nord coûte encore plus de 100 dollars. Si les États membres européens approuvent une interdiction des importations de pétrole russe, le prix du pétrole pourrait grimper à 150 dollars par baril, selon les experts.
Un tel scénario aurait un impact économique sur l’Europe. La Russie représente un quart des importations pétrolières européennes. Bien que le pétrole russe soit plus facile à remplacer que le gaz, cette transition demandera également du temps. Les raffineries en Pologne, Hongrie et Allemagne, qui sont approvisionnées par des pipelines, sont adaptées au pétrole russe de l’Oural. La transition à d'autres types de pétrole brut prendra du temps et coûtera cher. Une pénurie temporaire de pétrole et un rationnement éventuel seraient évidemment une mauvaise nouvelle pour l’industrie européenne et le secteur des transports. Mais on ignore encore l’impact précis d'un embargo pétrolier sur la croissance. À terme, il devrait être possible de trouver des alternatives au pétrole russe et cela pourrait accélérer la transition énergétique en Europe.
L'impact direct d’un arrêt des importations sur la croissance du PIB sera peut-être encore gérable, mais ce n’est pas le cas de l’inflation. Vu que les consommateurs de pétrole recherchent des alternatives, les prix du gaz et de l’électricité vont à nouveau grimper. Dans ce cas, l'augmentation des cotations sur les marchés de l’énergie va encore pousser l’inflation à la hausse, alors que de nombreuses entreprises et ménages souffrent déjà de l’augmentation du coût de la vie. Avec une inflation qui va rester élevée pour longtemps, il devient plus probable que la BCE va augmenter le taux plus tôt et plus agressivement. Ce scénario défavorable sème d’ores et déjà l’inquiétude sur les marchés financiers.
Un embargo génère donc de sérieux coûts financiers. Pourtant, il semble que ce soit le seul moyen de couper entièrement Poutine de sa principale source de revenus pour financer sa guerre brutale. L’exportation de carburants fossiles représente 15 pour cent de l’économie russe. Les exportations de pétrole ont déjà fortement diminué mais la Russie vend encore 2 millions de barils de pétrole par jour. Elle le fait souvent avec une réduction de vingt pour cent par rapport au prix du marché, soit 80 dollars par baril. Mais cela reste encore beaucoup plus que le prix attendu à Moscou avant la guerre. Lors de l’établissement du budget, le gouvernement tablait sur un prix de 44 dollars par baril pour obtenir un budget public en équilibre.
Avec ou sans embargo européen, l’offre sur le marché pétrolier restera limitée et les prix demeureront volatils pendant un certain temps. Il y a peu d’espoir que les pays de l’OPEP augmentent leur production et la libération des réserves pétrolières stratégiques par les USA n’est qu’une mesure temporaire. L’Agence internationale de l’énergie (AIE) s’attend à une aggravation de la pénurie mondiale de pétrole en raison de l'augmentation de la demande d’essence et de diesel pendant l’été. Dès lors, il vaut peut-être mieux réfréner nos besoins pétroliers. L’AIE propose un plan d'action pour réduire la consommation de pétrole. Dix mesures devraient permettre d’abaisser la demande pétrolière globale de 2,7 millions de barils par jour. En diminuant notre vitesse de 10 kilomètres/heure sur les autoroutes, nous pourrions notamment réduire nos besoins journaliers de 400.000 barils. Un dimanche sans voitures dans le monde entier permet aussi d'économiser 400.000 barils. La situation économique de 2022 commence à ressembler de plus en plus à celle des années 1970. À l’époque, le monde traversait également une crise énergétique, avec une guerre, un embargo pétrolier, une inflation énorme et des dimanches sans voiture.