13 mai 2022
Frank Maet
Senior Macro Economist @Belfius
Véronique Goossens
Chief Economist @Belfius
Les constructeurs automobiles européens ont connu une année particulièrement difficile. En 2021, la vente de voitures neuves au sein de l’Union européenne a reculé de 2,4 % pour s’établir à 9,7 millions d’unités, alors qu’elle avait déjà baissé de plus de 20 % en 2020 à la suite de la pandémie de Covid-19. Le secteur avait espéré une reprise en 2021, qui n’a néanmoins pas eu lieu, en raison d’une grave pénurie de semi-conducteurs qui a entraîné une baisse de la production de voitures. L’année dernière, 3,3 millions voitures en moins ont été immatriculées dans l’Union européenne par rapport à avant la crise. La Belgique et l’Allemagne ont été les deux pays les plus sévèrement touchés, avec une baisse de plus de 11 % pour notre pays et de plus à 10 % pour l’Allemagne. Volkswagen a été contrainte de mettre à l’arrêt la production de la Golf – la voiture la plus vendue en Allemagne depuis des années – durant plusieurs semaines, à la suite d’une pénurie de semi-conducteurs. D’autres grands constructeurs comme Ford, Daimler, Renault et Nissan, affectés par la crise des puces électroniques, ont également vendu moins de voitures que les années précédentes.
Tout n’est pas sombre pour autant dans l’industrie automobile. Un segment, en particulier, du marché se démarque par la confiance qu’il inspire... Il s’agit du secteur des véhicules électriques (ou VE). En 2021, 6,6 millions de voitures électriques ont été vendues, soit le double par rapport à 2020.
Si plus de la moitié de ces véhicules ont été vendus en Chine, les VE intéressent de plus en plus les consommateurs européens. En Europe, la vente a progressé de pratiquement 70 % en 2021 (2,3 millions de véhicules vendus), répartis pour près de la moitié en véhicules hybrides rechargeables et l’autre moitié des voitures en voitures électriques sans moteur à combustion (également appelés véhicules électriques à batterie ou VEB). La Tesla Model 3, la Volkswagen ID.3 et la Renault Zoe sont les trois modèles les plus vendus.
Ces trois dernières années, la part de marché des VE a triplé au niveau mondial et s’établit à présent à pratiquement 9 %. Elle doit encore faire d’énormes progrès d’ici 2030 pour répondre aux objectifs climatiques. Et cela nécessite toute une série d’investissements. Les constructeurs automobiles ont d’ailleurs l’intention de consacrer plus de 500 milliards de dollars aux véhicules et batteries électriques d’ici 2030.
L’UE et, en particulier, le groupe Volkswagen AG prennent les devants. Soucieux de se positionner en leader du marché mondial des VE, le constructeur automobile allemand allouera 112 milliards de dollars à ce segment. D’ici 2030, 70 % des Volkswagen vendues dans l’UE devront être électriques. Stellantis (le groupe fusionné regroupant des enseignes comme Fiat, Citroën et Peugeot) s’est fixé le même objectif.
Si, extérieurement, les VE ressemblent à des voitures classiques, il n’en est rien sous le capot. Un moteur de VE est, en effet, composé en moyenne de quelque 200 pièces différentes, contre 2.000 pour un moteur à essence ou diesel. Les experts sont eux aussi convaincus que la transition vers les VE va modifier radicalement les anciens modèles économiques, par exemple au niveau des chaînes d’approvisionnement et des canaux de vente. De nombreux constructeurs automobiles sont d’ailleurs enclins à revoir leur organisation en profondeur. Ford et Renauld, par exemple, envisagent de produire les voitures électriques et les voitures dotées d’un moteur à combustion sur deux sites différents. Hyundai a même fermé son centre R&D pour ses voitures à essence l’année dernière. Les consommateurs sont eux aussi de plus en plus disposés à renoncer aux anciennes voitures polluantes. D’après une enquête menée par Deloitte, près de la moitié des Belges envisagent d’opter pour un véhicule électrique ou hybride lors de leur prochain achat. De belles perspectives pour les constructeurs de VE, donc ! Mais le chemin vers une flotte 100 % électrique ne sera pas dépourvu d’embûches...
Le problème majeur auquel les constructeurs automoteurs risquent d’être confrontés à court terme, c’est le manque de semi-conducteurs. Et la fin de la crise des puces, ce n’est pas encore pour tout de suite ! D’après les experts, la pénurie de puces électroniques devrait se poursuivre jusque 2023. En attendant, les constructeurs automobiles essaient de trouver des solutions créatives. Tesla en est un bon exemple. La société d’Elon Musk s’est tournée vers d’autres fournisseurs de semi-conducteurs et a remanié son micrologiciel (firmware) et ses logiciels afin de permettre aux nouvelles puces de fonctionner correctement. Alors que l’industrie automobile au sens large a vu ses ventes chuter, Tesla a doublé sa production de 500.000 unités en 2020 pour atteindre 936.000 en 2021.
Outre la pénurie de puces électroniques, le secteur est également confronté à une pénurie de certaines matières premières nécessaires à la fabrication des batteries des voitures électriques. Le prix du lithium – un minéral essentiel à la production de batteries – a presque décuplé l’année dernière et a encore augmenté de 70 % en 2022. D’autres minéraux et matières premières, comme le cuivre, le nickel et le graphite, utilisés dans les batteries de VE ont eux aussi enregistré d’énormes augmentations de prix. Le prix moyen corrigé de l’inflation des kits de batteries pour voitures a baissé d’environ 1.200 dollars par kWh en 2010 et s’élève à seulement 132 dollars en 2021. Le coût élevé des matières premières a cependant ralenti la baisse des prix des kits de batterie pour véhicules électriques. Les initiés craignent que le prix des batteries augmente pour la première fois cette année, vu les nouveaux pics qu’ont atteints les prix de nombreuses matières premières en 2022.
Si nous voulons que notre parc automobile soit entièrement électrique, nous devons aussi disposer d’une infrastructure suffisante de recharge.
Même si de nombreux propriétaires de voitures électriques rechargeront probablement leur véhicule la nuit, ce n’est pas toujours possible ou pratique. Tout le monde ne dispose pas d’un garage ou d’une allée. Qui plus est, des bornes de recharge publiques seront également nécessaires pour les longs trajets. Il s’agit-là d’un domaine dans lequel notre pays est à la traîne par rapport au reste de l’Europe et dans lequel nous devrons sérieusement investir les années à venir. D’après la Fédération européenne des travailleurs des transports, le nombre de bornes de recharge publiques en Belgique doit passer à 42.000 en 2025 et à 91.000 en 2030. Ces bornes doivent, en outre, évoluer afin que la charge soit plus efficace et que la pression sur le réseau énergétique puisse être maîtrisée.
Les prix record qu’ont atteints l’essence et le diesel devraient relancer les commandes de voitures électriques. La FEBIAC, Fédération belge et luxembourgeoise de l’Automobile et du Cycle, estime que 1,5 million de voitures entièrement électriques pourraient circuler sur les routes de Belgique d’ici 2030. Ce scénario optimiste ne pourra toutefois se concrétiser que si les entreprises, les investisseurs et les autorités jouent leur rôle dans la révolution des véhicules électriques.