27 décembre 2023
Véronique Goossens
Chief Economist @Belfius
Les taux d'intérêt sur les marchés ont considérablement baissé ces dernières semaines après deux années de hausses presque constantes. Au cours des deux derniers mois, les taux à 10 ans ont chuté d'environ 1%. Est-ce la fin des taux d'intérêt plus élevés en 2024? Et est-ce que cela signifie qu’emprunter coûtera moins cher?
C'est la hausse spectaculaire de l'inflation qui a déclenché le rebond des taux d'intérêt. Les marchés ont initialement anticipé une réaction drastique des banquiers centraux pour ramener l'inflation sous contrôle. Tant la Réserve fédérale aux États-Unis que la Banque centrale européenne ont rapidement et fortement augmenté leur taux d'intérêt.
Mais en cette fin 2023, nous voyons l'inflation s'affaiblir plus rapidement que prévu. De plus, des signaux clairs nous indiquent que l'économie mondiale ralentit. Les marchés pensent donc que les banques centrales vont bientôt réduire leur taux d'intérêt. Car s'ils freinent trop longtemps, ils pourraient plonger l'économie dans une récession. Peut-on donc s'attendre à une baisse cyclique des taux d'intérêt au cours de l'année à venir?
La problématique est complexe. Et nous pensons également que les marchés font preuve de trop d’optimisme dans leur scénario de baisses de taux. Tout d'abord, l'inflation persistante diminue certes, mais la pression des prix sous-jacents reste trop élevée. L'une des raisons en est que les exigences salariales restent conséquentes car le marché du travail est tendu. Le ralentissement de l'économie ne sera probablement pas suffisant pour résoudre cette tension. Les baby-boomers prennent massivement leur retraite et il y a moins de jeunes travailleurs sur le marché. Un niveau d'inflation durable de 2% - la cible des banques centrales- ne sera donc pas si évident à court terme.
Deuxièmement, les gouvernements ont accumulé plus de dettes au cours des dernières crises. Le refinancement de ces dettes sur les marchés de capitaux entraînera une offre supplémentaire de titres de créance. Cela génère une baisse de la valeur de ces titres, ce qui fait augmenter les taux d'intérêt. Le prix et le taux d'intérêt d'une obligation bougent en effet en direction opposée.
En bref, l'ère des taux d'intérêt négatifs et des prêts gratuits est définitivement derrière nous. Nous sommes confrontés à un nouveau paradigme: l'inflation et les taux d'intérêt pourraient rester à un niveau plus élevé que ce que nous avons vu au cours des dix dernières années.
L'effet de surprise a certainement joué un rôle. Peu de prévisionnistes avaient anticipé une inflation aussi forte et persistante. Au départ, on estimait en effet que les hausses de prix étaient simplement le résultat de la pandémie et seraient temporaires. Le Covid était une période particulière avec de grandes pénuries, une intervention gouvernementale massive et une politique très souple des banquiers centraux. Mais au printemps 2022 - et surtout après l’invasion de l’Ukraine par la Russie - les banquiers centraux ont commencé à réaliser que l'inflation conséquente n'était pas du tout temporaire.
Ils ont pris des mesures strictes car leur réaction s’est avérée relativement tardive. S’en est suivi un rebond impressionnant des taux d'intérêt à plus long terme, qui se sont adaptés à la nouvelle réalité. Un rebond, certes, mais avec des taux à long terme qui, notons-le, se sont établis à des niveaux inférieurs aux taux à court terme.
Les rendements du passé ne constituent pas des indicateurs fiables pour des rendements futurs
Dans un monde normal, le taux à long terme est plus élevé que le taux à court terme. En effet, il est plus risqué de prêter pour une longue durée et donc cela implique une rémunération plus élevée. Mais aujourd'hui, cette réalité n'est plus valable. Les taux à court terme sont plus élevés que certains taux à long terme. Une situation très atypique! Prenons l'exemple d'une PME qui souhaite contracter un prêt de 5 ans pour financer une voiture et un prêt de 30 ans pour financer ses activités. Il est fort probable que le prêt sur 5 ans soit plus cher que celui sur 30 ans. Les investisseurs obligataires constatent également que leurs prêts à court terme aux gouvernements et aux entreprises rapportent souvent plus d'intérêts. Cependant, ces prêts perdront de leur valeur lorsque la banque centrale commencera à abaisser le taux directeur.
L'inflation a clairement diminué au cours de cette année, passant de niveaux à deux chiffres fin 2022 à 2,4% en novembre. Les banquiers centraux ont donc réussi à éviter le scénario d'horreur de l'hyperinflation. Mais si l'on regarde de plus près, on constate que ce sont surtout les prix de l'énergie qui ont poussé l'inflation vers le bas. Comment l'inflation est-elle calculée? Chaque mois, les augmentations de prix sont comparées au même mois de l'année précédente. Par exemple, en novembre de l'année dernière, les prix du gaz étaient encore trois fois et demie plus élevés qu'en novembre dernier. Et donc, l'inflation baisse considérablement. Mais en réalité, il s'agit ici d'effets mathématiques qui ne disent rien sur le coût réel de la vie au quotidien. Ces effets mathématiques disparaîtront et même agiront de manière inflationniste au cours des prochains mois.
Cependant, nous ne devons pas nous concentrer uniquement sur le chiffre de l'inflation générale - dont l'inflation énergétique fait partie. Il est maintenant beaucoup plus important de se concentrer sur l'inflation sous-jacente. Cela montre dans quelle mesure les entreprises augmentent leurs prix pour compenser les coûts plus élevés. Leur facture d'énergie, par exemple, mais aussi les hausses salariales. La vie est en effet devenue plus chère et les travailleurs demandent donc un salaire plus élevé. À cela s’ajoute une pénurie de travailleurs, le contexte salarial est ainsi amené à rester tendu pendant encore un certain temps. En Belgique, nous avons bien sûr une adaptation automatique des salaires à l'indice des prix à la consommation, dans les autres pays européens et aux États-Unis, ils sont négociés. Actuellement, nous constatons que la pression salariale reste trop élevée pour faire baisser de manière durable l'inflation sous-jacente. En novembre, l'inflation sous-jacente dans la zone euro s'élevait à 3,6% - encore nettement au-dessus de l'objectif de 2%.
Strategic Research ne prévoit pas de retour de l'inflation à 2% en 2024. Nous prévoyons une inflation moyenne de 2,9% dans la zone euro. Ce scénario se base sur une stabilisation des prix de l'énergie, qui est en ce moment le scénario dominant sur les marchés. Cependant, toute détérioration ou extension du conflit au Moyen-Orient peut mettre ce scénario en péril. Dans ce cas, nous pourrions nous attendre à des prix du pétrole plus élevés, et donc à plus d'inflation.
En ce qui concerne les perspectives à plus long terme - les 5 à 50 prochaines années - les marchés anticipent une inflation qui s’écarte légèrement au-dessus de l’objectif de 2%. C'est également notre point de vue. Trois tendances fondamentales auront une incidence sur les prix au cours des prochaines décennies. Tout d'abord, le changement climatique. Les récoltes manquées et d'autres événements affecteront les prix des denrées alimentaires. Deuxièmement, les tensions géopolitiques incitent les gouvernements à prendre des mesures protectionnistes. Ainsi, les États-Unis et l'Europe développent leur propre industrie de semi-conducteurs pour être moins dépendants de la Chine. Cela signifie que la production se fera dans des pays où les salaires sont plus élevés. Et ces salaires risquent de devenir plus chers de manière persistante que par le passé. La troisième tendance est le vieillissement de la population.
Une inflation plus élevée signifie également que les taux d'intérêt restent plus élevés que par le passé. Les attentes d'inflation et les taux d'intérêt évoluent en effet dans la même direction.
Face à la baisse impressionnante de l'inflation au cours des derniers mois, les marchés ont considérablement révisé leurs prévisions. Ils estiment que les banques centrales des deux côtés de l'Atlantique abaisseront leur taux directeur de 1,5%, dès le printemps. Cependant, cela nous semble trop rapide. La présidente de la BCE, Christine Lagarde, a souligné que les baisses de taux n'ont pas encore été discutées au sein de son conseil. Elle attend des données concrètes dans les prochains mois: salaires, prévisions de bénéfices des entreprises. Car si les entreprises augmentent leurs marges, cela peut également entraîner une augmentation des prix.
Nous ne nous attendons pas à ce que la BCE soit complaisante à l'égard de l'inflation. Il faudra certainement attendre l'été avant qu'elle ne commence à assouplir sa politique avec des diminutions de taux d’intérêt. L'assouplissement sera également moins important que ce que les marchés indiquent actuellement. Nous estimons qu'il n'y aura que deux baisses de taux de 0,25% chacune en 2024. La BCE indique en effet elle-même que la dernière partie de la lutte est la plus difficile. Elle examinera de près l'inflation sous-jacente, les attentes d'inflation à long terme sur les marchés et l'évolution des salaires.
La Réserve fédérale pourrait être plus rapide dans ses baisses de taux, dès le printemps. Tout d'abord, certains signaux semblent indiquer que les salaires, bien que très élevés sont en train de s’ajuster à la baisse. Les salaires américains tendent à réagir rapidement à une économie en ralentissement, tandis qu'ils passent généralement en Europe, par le lent processus de conventions collectives. D'autre part, les États-Unis bénéficient du luxe d'une indépendance énergétique et ont beaucoup moins souffert de la hausse des prix des matières premières. Par exemple, ils n'ont pas connu la folle flambée des prix du gaz.
La dynamique des mouvements des taux d'intérêt est un jeu complexe entre l'inflation, les taux directeurs de la banque centrale et la croissance économique (en périodes économiques favorables, les taux d'intérêt ont tendance à augmenter). Un autre facteur à prendre en compte est la liquidité du marché: comment évolueront à la fois l'offre et la demande d'obligations à l'avenir? Une hausse de l’offre d’obligations sur le marché, par exemple, exerce une tension à la hausse sur les taux d'intérêt.
Pendant la pandémie, les Banques Centrales ont acheté énormément d’obligations pour injecter de l’argent dans le système financier, faisant ainsi fonctionner la célèbre «planche à billets». En effet, la banque centrale craignait une déflation (le contraire de l'inflation, c'est-à-dire une baisse des prix) dans un contexte économique difficile. L’heure est maintenant venue de faire marche arrière. Les Banques Centrales sont en train de réduire leurs bilans et leur plans d’achats d’actifs. Cela se fera par étapes, mais la direction est clairement indiquée. Cette réduction de la demande d’obligations constituera un facteur pesant à la baisse sur les prix des obligations et donc à la hausse sur les taux d’intérêt.
Parallèlement, l'offre d'obligations sur le marché est amenée à rester robuste. Nos gouvernements se sont considérablement endettés afin d'atténuer les conséquences de la pandémie. Ils vont devoir renouveler ces dettes à des taux beaucoup plus élevés que ceux qu’ils ont connus ces dix dernières années. Les perspectives pour les finances publiques de nombreux pays ne sont déjà pas très florissantes, tant dans la zone euro qu'aux USA. Nous nous attendons à ce que cela continue à exercer une pression haussière sur les taux d'intérêt ces prochaines années.
Selon Strategic Research, la baisse actuelle des taux d'intérêt est temporaire et ils remonteront quelque peu. En effet, le spectre de l’inflation n’est pas encore vaincu et nous pensons que les perspectives économiques sont favorables. Nous pensons dès lors que les marchés seront déçus d’ici peu, quand ils constateront que les banques centrales vont assouplir leur politique moins rigoureusement et plus tard. Cela créerait un plancher sous les taux d'intérêt, qui recommenceraient à augmenter par la suite. Quoi qu’il en soit, l'évolution des marchés obligataires sera instable en 2024. Mais nos attentes sont claires: selon nous, le taux à long terme est actuellement trop bas et va revenir aux niveaux d'il y a quelques mois. Emprunter ne coûtera donc pas directement moins cher, sauf à court terme. Pour l’investisseur en obligations, il est préférable de profiter d’une hausse de leurs niveaux actuels pour souscrire à des obligations avec un rendement potentiel plus attractif et les cliquer pour les prochaines années.»
Les performances passées, les simulations de performances passées et les prévisions de performances futures d’un instrument financier, d’un indice financier, d’une stratégie ou d’un service d’investissement ne sont pas des indicateurs fiables des performances futures. Ce document, rédigé et publié par Belfius Banque, donne la vision de Belfius Banque sur les marchés financiers. Il ne contient pas de conseil en investissement personnalisé, pas de recommandation d’investissement, ni de recherche indépendante en matière d’investissement. Si vous êtes à la recherche de conseils en investissement personnalisés, vous pouvez vous adresser à votre conseiller financier qui se fera un plaisir d’examiner avec vous les effets éventuels de cette vision sur votre portefeuille d’investissements personnel. Les chiffres mentionnés sont des instantanés et sont susceptibles d’évoluer.