15 mars 2024
Véronique Goossens
Chief Economist @Belfius
L’année a mal commencé dans la zone euro. Strategic Research table sur une croissance nulle au cours du premier trimestre de 2024. La Belgique fait une fois de plus figure d’exception.La confiance des consommateurs étant solide et supérieure à la moyenne, les ménages continuent de consommer. Le Belge a vu son pouvoir d’achat augmenter au cours de l’année écoulée, tandis que cette évolution connaît un certain retard dans la zone euro. L’indexation automatique des salaires en Belgique permet une adaptation plus rapide des salaires à l’augmentation du coût de la vie. Les salaires ont également augmenté entre-temps dans la zone euro, améliorant progressivement la position concurrentielle des entreprises belges. Cela aide les entreprises exportatrices à augmenter leurs ventes à l’étranger, d’autant plus que le commerce mondial reprend à présent. En attendant, les entreprises, ainsi que les pouvoirs publics belges, continuent d’investir. Les années d’élections – comme c’est le cas cette année –, les investissements publics sont traditionnellement plus importants, et les programmes européens davantage déployés. Selon l’estimation provisoire de la Banque Nationale de Belgique, l’économie belge devrait progresser de 0,4% au premier trimestre. Nous sommes relativement optimistes pour le reste de l’année également.
Récemment, le gouvernement chinois a présenté ses prévisions annuelles de croissance économique. L’économie chinoise devrait croître d’environ 5% en 2024, ce qui nous paraît trop optimiste. L’économie d’exportation se grippe avec une production industrielle en baisse, et les entreprises se disent déçues par leurs nouvelles commandes et leurs exportations. Les secteurs des services se portent mieux. Cela s’explique par le Nouvel An chinois, la plus importante période de fête de l’année. L’événement a été d’autant plus célébré que les Chinois avaient enduré des confinements très stricts pendant la pandémie. Il s’agissait du premier Nouvel An dont les Chinois ont réellement pu profiter depuis la crise sanitaire. Les ventes en magasin ont également repris ces dernières semaines. Nous nous attendons toutefois à ce que ce dopage de l’économie soit temporaire. La confiance des consommateurs chinois n’est pas encore au beau fixe; ils se sont d’ailleurs mis à épargner davantage. La crise immobilière, qui entre dans sa quatrième année ce mois-ci, est l’une des principales raisons de cette morosité. Après des années de croissance explosive du marché immobilier et d’investissements spéculatifs dans des appartements, les Chinois voient leur investissement partir en fumée en raison des prix de l’immobilier qui ne cessent de baisser. Pour le Chinois moyen, l’acquisition d’une habitation reste également une opération onéreuse au regard de ses revenus. Ces éléments nous amènent à conclure que les prix de l’immobilier vont poursuivre leur correction, ce qui va également peser davantage sur la confiance des consommateurs. En attendant, la banque centrale chinoise tente de convaincre les acheteurs potentiels en abaissant son taux d’intérêt directeur, ce qui devrait à nouveau rendre l’acquisition d’un bien immobilier un peu plus abordable. Mais les mesures de relance ont été beaucoup trop dérisoires jusqu’à présent pour avoir un effet quelconque.
La Chine est également aux prises avec un problème de déflation (baisse des prix) qui fait de plus en plus tache d’huile dans l’économie. Non seulement les produits industriels continuent d’être moins chers, mais les prix plongent également dans les secteurs des services. En janvier, les prix à la consommation ont même enregistré leur plus forte baisse depuis 14 ans. Les entreprises tentent d’inciter les consommateurs chinois, qui ont perdu du pouvoir d’achat et sont pessimistes quant à leur situation économique, à acheter à des prix plus bas.
Nous prévoyons une croissance de l’économie chinoise de 4,5% cette année, soit inférieure au pourcentage annoncé par le gouvernement chinois. La croissance de 5,2% l’année dernière avait été quelque peu surprenante, mais elle était imputable à des effets temporaires faisant suite à la réouverture de l’économie.
Il est intéressant de constater à quel point l’économie américaine reste résiliente alors que la politique stricte de la Réserve fédérale produit encore tous ses effets. Le taux directeur se maintient à 5,5%, après deux années de hausses agressives pour juguler l’inflation. Pendant ce temps, le marché du travail continue de se porter à merveille, les dépenses de consommation sont à la hausse, même si les ventes en magasin reculent à présent légèrement après une intense période de fêtes de fin d’année. Tout porte à croire que le pire est passé pour l’industrie américaine. Les timides premiers signes d’amélioration se font d’ailleurs sentir. La tendance dans les secteurs des services va dans le sens de la croissance. En tout cas, l’indépendance relative des États-Unis sur le marché de l’énergie favorise son économie. Les États-Unis extraient le pétrole et le gaz à un rythme record.
Le taux d’emploi continue de surprendre mois après mois: 275.000 emplois ont été créés en février. Cela maintient la pression sur les salaires qui, il est vrai, retombe très légèrement. Sur une base annuelle, nous constatons toujours des augmentations salariales de 4,3% en moyenne – un pourcentage trop élevé pour rassurer la banque centrale américaine. En effet, les hausses de salaire se répercutent et maintiennent l’inflation structurelle à un niveau élevé, en particulier dans les services, où l’inflation est persistante.
La politique de la banque centrale américaine a entraîné une hausse des taux d’intérêt à long terme et un durcissement des banques en matière d’octroi de crédits. Cela fait un certain temps déjà que cette tendance est en train de s’inverser, les marchés partant du principe que la Réserve fédérale va bientôt assouplir sa politique. Ces attentes se sont quelque peu calmées ces dernières semaines. Une baisse du taux directeur au printemps n’est plus à l’ordre du jour selon les marchés. En effet, l’inflation recule plus lentement qu’espéré et est même repartie à la hausse au mois de février. Avec le maintien à un niveau élevé des chiffres du marché du travail, il est en effet difficile de réduire durablement la pression sur les prix. Quoi qu’il en soit, nous pensons que la Réserve fédérale commencera prudemment à assouplir sa politique au cours de l’été – assouplissement qui donnera un nouvel élan à l’économie au second semestre de l’année.
Au mois de février, le climat économique se dégrade à nouveau sur tous les fronts. Le secteur de la construction voit son activité se recroqueviller, les ventes au détail sont en baisse, les secteurs des services craignent un ralentissement, et l’industrie manufacturière continue de tourner au ralenti. Tout cela nous amène à présumer que l’économie de la zone euro va stagner au cours de ce trimestre. Le retour de la confiance des consommateurs, lentement mais sûrement, figure parmi les points positifs. Les consommateurs sentent une amélioration de leur pouvoir d’achat grâce à la baisse de l’inflation et à la tendance haussière des salaires en Europe. Les consommateurs seront donc le principal moteur de l’économie de la zone euro cette année. Au second semestre, nous tablons également sur l’effet bénéfique d’une politique moins stricte en matière de taux d’intérêt.
Mais la situation restera difficile jusqu’à l’été. À bout de souffle, la plus grande économie d’Europe, l’Allemagne, est en récession depuis le milieu de l’année dernière. Nous prévoyons également une contraction pour les trois premiers mois de cette année. Les entreprises industrielles allemandes ont encore beaucoup de stocks à écouler, de sorte que nous n’attendons pas beaucoup de production supplémentaire dans un avenir proche. L’Allemagne fait aussi face à des problèmes structurels. Son industrie est encore fortement tributaire des importations d’énergie, et il y a eu trop peu d’investissements réalisés dans l’innovation, comme la digitalisation, au cours des dernières années. De plus, la consommation allemande n’est pas au meilleur de sa forme. Cela s’explique entre autres par la forte dépréciation des biens immobiliers – situation que la Belgique n’a pas connue. La crise du marché immobilier allemand entraîne également une baisse d’activité dans le secteur de la construction, ce qui a une incidence négative considérable sur les chiffres européens.
La lutte contre l’inflation menée par la Banque centrale européenne commence clairement à peser sur l’économie. Depuis 2015, les ménages empruntent moins que l’année auparavant, car en peu de temps, il est devenu beaucoup plus coûteux de souscrire un crédit. Les prêts aux entreprises se contractent également depuis un certain temps déjà. Ce n’est pas le cas aux États-Unis, où la croissance du crédit est toujours restée positive, malgré un net ralentissement. Nous pouvons donc affirmer que la politique de la BCE pèse plus lourdement sur l’économie de la zone euro que la politique de la Fed sur l’économie américaine.
Pourtant, la bataille de la Banque centrale européenne n’est pas encore terminée. Bien que l’inflation diminue grâce à la baisse des prix de l’énergie, cet effet commence lentement à s’estomper. Si l’on examine de près les secteurs des services, l’inflation s’élève en moyenne à quelque 4%. C’est encore beaucoup trop. Cela signifie que des services tels que la livraison de repas, l’organisation d’événements et la consultance continueront à coûter beaucoup plus cher. Cette situation s’explique en partie par les coûts salariaux, qui représentent une part importante des charges d’exploitation, en particulier dans les secteurs des services. Avec une croissance annuelle moyenne des salaires de 4,5%, l’évolution des salaires reste très robuste. À titre de comparaison, elle s’élevait à 1,8% en moyenne depuis 2010.
Lors de la dernière réunion sur les taux d’intérêt, la BCE a maintenu son taux directeur à 4%, comme prévu. Sa présidente Christine Lagarde a laissé entendre qu’un assouplissement pourrait avoir lieu en juin. Nous serons alors sûrement en possession de chiffres supplémentaires sur l’évolution des salaires, et ceux-ci permettront de trancher. Nous prévoyons que la BCE abaissera son taux monétaire de 0,75% en trois étapes cette année. Dans la communication qui a suivi la réunion, il convient de noter que les attentes de la BCE en matière d’inflation ont été revues à la baisse. Au lieu d’une inflation annuelle de 2,7%, la BCE s’attend à présent à une inflation de 2,3%, et l’objectif de 2% sera atteint dès l’année prochaine. Nous n’en sommes toutefois pas encore convaincus. Ce n’est qu’au cours des prochains mois que l’on pourra y voir plus clair sur l’évolution de l’inflation à moyen et long terme.
Strategic Research a mis à jour ses prévisions de croissance pour la zone euro. Nous prévoyons une croissance économique de 0,6% au lieu de 0,8%. Une chose est sûre: le premier semestre sera très médiocre.
Source: Belfius Strategic Research
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