Frank Maet
Senior Macro Economist @Belfius
Véronique Goossens
Chief Economist @Belfius
Comment fixer un prix correct sur la pollution? Concrètement: combien doit coûter une tonne d’émissions de CO2 pour que la société fasse à temps la transition vers une économie neutre en carbone? Un prix par tonne d’émissions de CO2 inciterait directement les entreprises et les consommateurs à adapter leur comportement et à réduire leurs émissions.
Pour les grands pollueurs de l’industrie et de la navigation aérienne, ce prix est fixé par le marché européen des droits d’émission, en abrégé SEQE-UE. Depuis 2005, il existe un plafond de droits d’émissions autorisées de CO2. Ce plafond est abaissé chaque année et s’élève à 1,76 milliard de tonnes de C02en 2021. Ces émissions maximales sont réparties entre les pays qui les répartissent à leur tour entre les entreprises. Les entreprises qui émettent plus de CO2 qu’autorisé, doivent s’acquitter de droits d’émission supplémentaires via des marchés. Les acheteurs et les vendeurs négocient ainsi les droits d’émission et c’est ainsi qu’est fixé un prix du C02.
Mais ce système a ses défauts. Le secteur agricole, le transport routier et le logement ne relèvent pas de la législation SEQE-UE. Il ne tient pas non plus compte des émissions des ménages et des petites entreprises. En outre, le prix du CO2 fixé via le marché des émissions peut fluctuer fortement (voir graphique) et il reste pour l’instant bien inférieur à ce qui est nécessaire pour faire baisser suffisamment les émissions.
C’est la raison pour laquelle il faut un outil supplémentaire pour fixer un prix sur les émissions, la taxe CO2. En levant une taxe sur la pollution au CO2 et en annonçant comment elle évoluera dans les prochaines années, les autorités envoient un signal clair à toutes les entreprises et aux ménages. Cela supprimerait l’incertitude concernant le prix et soutiendrait les investissements nécessaires pour assurer une transition durable.
Différents pays européens ont déjà une forme de taxe carbone. Depuis le début de cette année, le gouvernement allemand lève 25 euros par tonne de CO2 émise par les transports et les habitations en Allemagne. La taxe carbone sera systématiquement majorée à 55 euros d’ici 2025. Avec cette mesure, l’Allemagne entend récolter en quatre ans plus de 55 milliards d’euros pour financer sa transition énergétique.
Le produit d’une taxe CO2 peut également être utilisé pour compenser les secteurs et les ménages les plus durement touchés par la transition énergétique. Le gouvernement peut, par exemple, octroyer des chèques-énergie aux ménages vulnérables qui ont difficilement accès aux alternatives bas carbone. Comme la Belgique doit déjà composer avec une pression fiscale élevée, il est en outre important de mettre en place un tax shift. Avec une taxe CO2, les taxes existantes, comme les accises et les surcharges sur la facture d’électricité, pourront diminuer.
Price of front year EUA contract on the intercontinental Exchange (ICE) in 2020
La plupart des économistes s’accordent à dire qu’une taxe CO2 est le meilleur instrument économique pour endiguer les émissions de gaz à effet de serre. Mais il subsiste encore beaucoup de discussions sur son montant précis. Une taxe CO2 (trop) basse ne stimule pas la durabilité. Les consommateurs et les entreprises n’adaptent pas leur comportement ou insuffisamment. Les investissements dans la technologie neutre en carbone se font attendre car ils ne sont pas suffisamment rentables.
Si la taxe CO2 est trop chère, la pression financière sur certaines couches de la populations devient trop lourde, ce qui peut miner la portée de la transition climatique. Les entreprises confrontées à une forte augmentation de leurs coûts voient leur position concurrentielle s’éroder et partent peut-être à l’étranger où elles peuvent émettre davantage. Cet effet s’appelle le ‘carbon leakage’ ou fuite de carbone. Le cas échéant, cela va aggraver les choses car Ia prospérité économique diminuera et les émissions totales de CO2 augmenteront.
Afin d’éviter les fuites de carbone et la concurrence déloyale, la taxe CO2 doit être le plus possible harmonisée au niveau international. L’introduction d’une taxe carbone au niveau européen est donc une étape logique. Afin d’éviter que de grandes entreprises polluantes ne délocalisent leur production en dehors de l’Europe, l’U.E. envisage de surtaxer les importations de pays qui ne lèvent pas de taxe CO2.
C’est clair: une taxe sur les émissions de carbone est l’arme la plus efficace pour lutter contre le réchauffement climatique. La question n’est dès lors plus Y aura-t-il une taxe CO2? mais bien Quel sera le montant de la taxe CO2?