Frank Maet
Senior Macro Economist @Belfius
Véronique Goossens
Chief Economist @Belfius
Au cours de l’année écoulée, la crise du Covid-19 a mis en lumière les fragilités de la stratégie industrielle de l’UE. Début 2021, les Européens étaient largement à la traîne par rapport aux Américains et aux Britanniques pour ce qui est de l’obtention des vaccins et de leur administration à la population. Depuis lors, les critiques se sont tues vu l'important mouvement de rattrapage réalisé par les pays européens dans le déploiement des vaccins. Mais l’Europe tire les enseignements nécessaires du mauvais départ pris par la campagne de vaccinations. À Bruxelles, on s’est rendu compte que personne n’exerçait de contrôle sur les chaînes de distribution complexes permettant de produire les vaccins et que, pour certains composants, l’UE dépendait fortement des importations de l’étranger. De plus, le marché unifié a été mis à mal par les limitations imposées dans les approvisionnements et par la fermeture des frontières. Selon Thierry Breton, le commissaire pour le Marché intérieur, l’Europe doit devenir plus auto-suffisante dans les domaines critiques et être à même de réagir rapidement quand une production s’avère nécessaire, comme dans le cas des vaccins. C’est pourquoi l’UE va adapter sa stratégie industrielle. Elle doit réduire sa dépendance vis-à-vis de l’étranger dans plusieurs secteurs clés.
Ce changement n’est pas uniquement dû aux problèmes liés aux vaccins. Le Covid-19 entraîne également une grande disruption de l’approvisionnement mondial en matières premières et autres produits. La reprise économique en Occident génère une augmentation soudaine de la demande, mais l’offre n'arrive pas à suivre. Des problèmes logistiques occasionnent d’importants retards de livraisons, des pénuries et une forte hausse des prix dans certains secteurs. La récente pénurie de puces électroniques dans l'industrie automobile illustre les défis de l’UE. Les semi-conducteurs sont des pièces indispensables de tous les produits et services numériques. Ils sont utilisés dans les voitures, les avions, l'appareillage médical, les téléphones mobiles, les réseaux et les super ordinateurs. De plus, ils permettent aux entreprise d’innover et de faire face à la concurrence mondiale. La capacité de production limitée de semi-conducteurs en Europe représente une menace pour notre industrie de transformation numérique. La crise actuelle fait prendre conscience à Bruxelles du fait qu’il faut résoudre d'urgence la dépendance technologique européenne dans des domaines stratégiques.
C’est pourquoi la Commission européenne a réalisé une analyse des 5.200 produits qui sont importés et a constaté que, pour 137 produits (soit 6 pour cent du total des importations), l’UE est « fortement dépendante » des importations du reste du monde. Environ la moitié des importations de ces produits proviennent de la Chine, suivie du Vietnam, du Brésil, de Singapour et de Corée du Sud. Dans son analyse, la Commission se concentre sur six « écosystèmes industriels » qui ont une importance stratégique. Il s'agit des matières premières, des batteries au lithium, des ingrédients pharmaceutiques actifs, de l’hydrogène, des technologies cloud et des semi-conducteurs. La Commission veut renforcer l’autonomie et la résilience européenne en concluant des alliances industrielles. Par exemple, un accord de collaboration avec l'industrie des puces électroniques va être conclu, à l'instar d'alliances existantes dans le secteur des matières premières, de l’hydrogène et
des batteries. Ces prochains mois, la Commission européenne proposera également un instrument d'aide pour le marché unifié, afin de garantir la libre circulation des personnes, biens et services lors de crises futures.
L’UE est un acteur mondial en matière d'importations et d’exportations. Cette ouverture est une source de croissance économique et de bien-être. Mais la crise du Covid-19 montre que l’industrie européenne dépend fortement du reste de l’économie mondiale, ce qui la rend vulnérable face aux chocs importants. Avec sa nouvelle stratégie industrielle, l’UE veut davantage voler de ses propres ailes dans les secteurs stratégiques, de façon à ce que l'industrie européenne puisse prendre l’initiative pour évoluer vers une économie verte, numérique et résiliente. Il est temps pour l’Europe de montrer ses muscle géopolitiques.