2 decembre 2022
Frank Maet
Senior Macro Economist @Belfius
Véronique Goossens
Chief Economist @Belfius
Ça fait quelques années déjà que le sort s'acharne sur la mondialisation. Depuis 2017, le commerce mondial a été confronté à toute une série de défis sans précédent. Trump a déclenché une guerre commerciale avec la Chine, les Britanniques ont quitté l'UE, et ensuite, la pandémie de Covid-19 a mis à rude épreuve les chaînes d'approvisionnement mondiales. Cette année, c’est la guerre en Ukraine qui amène de nombreux pays à repenser leur dépendance à l'égard de l'énergie russe.
Mais en fait, qu'entend-on par mondialisation ? En résumé, il s'agit d'un processus d'intégration politique et économique entre pays. Avec à la clé une augmentation des flux transfrontaliers de biens, de services, de capitaux, de personnes et d'idées. On craint que la succession de chocs de ces dernières années n’entraîne un ralentissement ou une inversion de ce processus. Bref, une démondialisation.
La mondialisation est apparue en plusieurs étapes, ou vagues. La première vague remonte à la période qui a suivi la révolution industrielle, et la deuxième a débuté à la fin de la Seconde Guerre mondiale. La troisième phase de la mondialisation a commencé à peu près avec la chute du Mur de Berlin en 1989, et s’est accélérée suite à l'adhésion de la Chine à l'Organisation mondiale du commerce (OMC) en 2001. Cette vague était tellement puissante qu'on l'a qualifiée d’« hypermondialisation ». Une fois encore, on a alors assisté à une forte augmentation des volumes d'importations et d'exportations mais, contrairement aux deux premières vagues, l'intégration ne concernait plus seulement les échanges de marchandises : les exportations de services ont également doublé, et la composante financière a gagné en importance, vu la progression exponentielle des investissements directs à l'étranger. En délocalisant la production dans d'autres pays aux salaires moins élevés, les entreprises ont pu produire à moindre coût. Cette période a également vu l'essor des chaînes de valeur mondiales. Les progrès technologiques en matière de logistique et de transport ainsi que la révolution des TIC ont rendu les processus opérationnels de plus en plus internationaux et complexes. En vertu du principe selon lequel tout est fabriqué là où c'est le moins cher et le plus efficace, la production est souvent délocalisée d’un pays à l’autre, et d’un continent à l’autre.
La grande crise financière (GFC) de 2008 a brusquement mis un terme à l’hypermondialisation. La demande économique s'est alors effondrée et, dans le monde entier, les banques sont devenues plus réticentes à octroyer des prêts. Et même lorsque l'économie s'est redressée, il s'est avéré que la mondialisation continuait à faire du surplace. Avec une population croissante et une demande économique en hausse, les volumes des échanges commerciaux continuent d'augmenter, mais la dynamique est retombée. Pour mesurer la mondialisation, on peut diviser le commerce mondial par la taille de l'économie mondiale (voir graphique). Les chiffres de la Banque mondiale indiquent que l'importance économique du commerce des biens et services régresse depuis 2008.
En fait, ce n'est pas si surprenant, car les processus qui ont induit la troisième vague de mondialisation se sont largement essoufflés. Après l'intégration économique de la Chine, de l'Inde, de l'Europe de l'Est et autres marchés émergents dans l'économie mondiale, il n'y a plus eu de nouveaux entrants majeurs dans l'économie mondiale ouverte. En 2010, 97% des exportations mondiales de biens et 98% des exportations de services commerciaux provenaient de membres de l'OMC. Les tarifs d'importation ne pouvaient plus baisser beaucoup, et en Chine ainsi que dans d’autres pays émergents, le coût de la main-d'œuvre augmentait rapidement. Depuis un certain temps, il était donc clair que la mondialisation faiblissait. Mais l'idée d’être à la veille d'une véritable démondialisation semble s’être répandue courant 2022.
Trois chocs récents – la pandémie, les tensions entre USA et Chine, et la guerre en Ukraine – ont attiré l'attention sur la valeur d'un approvisionnement sûr en intrants clés pour l'économie et la société au sens large. Les gouvernements ne tiennent plus pour acquis que l'économie mondiale est une source d'approvisionnement fiable.
Les USA et l'UE ont donc procédé à des analyses approfondies de leurs chaînes d'approvisionnement dans toute une série de secteurs stratégiques. Le Japon a également réalisé une étude similaire. Ces études ont montré qu’au-delà de l'approvisionnement en énergie, les économies avancées souhaitent être davantage autosuffisantes dans le domaine des semi-conducteurs, des terres rares et des produits pharmaceutiques. Comprenez : réduire leur dépendance à l’égard de la Chine et de la Russie. Cette année, tant les États-Unis que la Commission européenne ont adopté une loi sur les puces (Chips Act), visant à remédier à la pénurie de semi-conducteurs en en produisant davantage sur leur propre sol. En octobre, l'administration Biden a encore franchi une étape supplémentaire en instaurant de nouvelles règles d'exportation interdisant la vente des puces de haute performance aux entreprises chinoises. Quant à la Chine, depuis longtemps déjà, elle prend des mesures visant à accroître son autosuffisance en produits et matériaux critiques. En 2015, elle a mis sur pied la stratégie « Made in China 2025 Technology », pour devenir moins dépendante de la technologie étrangère dans un large éventail de secteurs.
La tendance actuelle à la démondialisation est induite par l'orientation géopolitique des superpuissances, mais les entreprises revoient elles aussi leurs chaînes de valeur mondiales. Une enquête du US-China Business Council indique que les entreprises américaines réduisent leurs investissements en Chine. De juin 2021 à juin 2022, un quart des répondants ont déménagé des pans entiers de leurs chaînes d'approvisionnement. Principales raisons invoquées : les perturbations de la production dues au COVID-19, et la volonté d’augmenter la résilience de la chaîne d'approvisionnement. Pour l'instant, on ne peut pas encore parler d’un véritable « reshoring », c’est-à-dire d’un retour de la production sur son propre sol. Jusqu’à présent, les entreprises ont choisi de conserver des stocks plus importants et de rechercher des fournisseurs supplémentaires afin de garantir l'approvisionnement.
Si la tendance à la démondialisation se poursuit, qu’est-ce que cela signifie pour l'économie? Il ne fait aucun doute que la mondialisation a sorti des centaines de millions de personnes hors de l'extrême pauvreté. Selon les économistes, l'augmentation des échanges commerciaux est responsable pour moitié de l'accélération de la croissance de la productivité dans les économies émergentes après 1990. Avec pour conséquence une augmentation du revenu par habitant dans le monde émergent d'environ 1,5 point de pourcent l’an. La mondialisation a aussi contribué à maintenir la pression inflationniste à un faible niveau dans les pays développés. Un large éventail de marchandises, depuis les vêtements jusqu’à l'électronique, sont devenus beaucoup moins chers parce que les processus de production avaient été délocalisés dans des pays à bas salaires.
Mais la mondialisation a aussi ses zones d’ombre. En Occident, l’industrie a perdu un nombre incalculable d’emplois. Certes, la prospérité moyenne a augmenté, mais la répartition de cette croissance est souvent inégale. En particulier aux États-Unis et au Royaume-Uni, c’est à peine si la classe moyenne a bénéficié des fruits de la mondialisation, et la polarisation s'est accrue. Avec comme conséquences le Brexit et l'élection de Donald Trump. Cette année, nous avons compris nous aussi à quel point une mondialisation extrêmement poussée nous rend vulnérables. La Russie utilise son principal produit d'exportation – l'énergie – comme arme stratégique, provoquant ainsi une grave crise énergétique en Europe.
À l’instar de la mondialisation, la démondialisation a aussi ses avantages et ses inconvénients. À court terme, le reshoring par les multinationales et les secteurs coûte beaucoup de temps, d'efforts et d'argent. Ainsi par exemple, la mise sur pied d’une usine de production de puces est un processus qui prend des années et requiert des capitaux gigantesques. À plus long terme, on constate les avantages économiques. Le fait de produire plus local offre une meilleure protection contre les chocs et apporte un savoir-faire technologique avec davantage de potentiel en termes de gains de productivité et d'emplois à haute valeur ajoutée. En outre, des chaînes d'approvisionnement plus courtes (en Europe ou au niveau régional) réduisent les émissions de gaz à effet de serre. Nous ne deviendrons jamais totalement autosuffisants. Certainement pas dans un petit pays comme la Belgique. La démondialisation ne signifie donc pas nécessairement moins de coopération et d’échanges entre pays. Au contraire, à l’avenir, l'intégration au niveau régional et au sein de blocs de pays (USA, UE, Japon versus Chine, Russie) devrait encore s'intensifier. Et pas seulement au niveau économique. Des défis tels que de nouvelles pandémies et le réchauffement climatique ne s'arrêtent pas aux frontières des pays et requièrent davantage – et non moins – de coopération internationale.
Bronnen:
Ce document, rédigé et distribué par Belfius Banque, reflète le point de vue de Belfius Banque sur les marchés financiers. Il ne contient pas de conseils ou de recommandations personnalisés en matière d'investissement ni de recherches indépendantes en matière d’investissements. Si vous souhaitez un conseil personnalisé en matière d'investissement, vous pouvez contacter votre conseiller financier. Il se fera un plaisir de discuter avec vous des conséquences possibles de cette vision sur votre portefeuille d'investissement personnel. Les chiffres indiqués sont un instantané et sont susceptibles d’évoluer.