14 octobre 2021
Frank Maet
Senior Macro Economist @Belfius
Véronique Goossens
Chief Economist @Belfius
L’Europe est en pleine crise du gaz. La semaine dernière, le prix du gaz a dépassé pour la première fois la barre des 100 euros par mégawattheure, pour culminer à près de 113 euros. Il s’agit d’une augmentation de plus de huit fois par rapport à l’an dernier (voir graphique).
Les prix du gaz ont augmenté à un rythme record en raison de la combinaison d’une demande en forte hausse et d’une offre insuffisante. Les confinements liés à la pandémie de Covid-19 ont entraîné un effondrement du prix du gaz (et du pétrole) en 2020, car de nombreux magasins et usines ont fermé leurs portes et ont soudainement consommé moins d’énergie. C’est la situation inverse qui se présente à l’heure actuelle. La fin des contraintes sanitaires entraîne une forte augmentation de la demande de gaz, de pétrole et d’électricité dans le monde.
Dans le même temps, il y a moins de gaz naturel disponible que d’habitude. Un printemps froid et des achats de gaz insuffisants en été ont limité les réserves européennes. Normalement, en été, lorsque la demande et les prix sont plus faibles, le gaz est acheté et stocké dans des champs vides. Mais ces achats n’ont pas été suffisants l’été dernier.
Avec la fermeture des centrales à charbon et des centrales nucléaires, la Belgique et l’Europe sont largement tributaires des importations de gaz naturel de l’étranger pour leur approvisionnement énergétique. Or, les pétroliers transportant du gaz liquide depuis les États-Unis vont principalement en Asie, où les pays sont prêts à payer plus cher. L’offre de la Norvège et de la Russie est également en baisse. Le tout nouveau gazoduc Nordstream-2 entre la Russie et l’Allemagne est prêt à être utilisé, mais il faudra des mois avant que le régulateur allemand ne donne son feu vert. L’agitation croissante entraîne également une plus grande spéculation sur le marché du gaz. Tous ces facteurs convergent à présent pour former, selon les négociants en énergie, une «tempête parfaite» qui fait exploser les prix du gaz.
Certains en ressentent déjà les effets sur leur porte-monnaie. Comme une grande partie de l’électricité provient de centrales au gaz, le prix de l’électricité augmente en conséquence. Les répercussions sur la facture d’énergie dépendent du type de contrat que les ménages ont conclu avec leur fournisseur. Les consommateurs ayant des contrats à prix fixe ne sont pas affectés jusqu’à l’expiration de leur contrat. En revanche, les ménages ayant un contrat variable ressentent bel et bien la différence. Sur la base des prix moyens de septembre, la CREG (Commission de Régulation de l’Électricité et du Gaz) a calculé qu’une facture annuelle de gaz naturel augmentera de presque 600 euros et celle d’électricité de plus de 100 euros.
Outre le prix élevé du pétrole, la hausse spectaculaire des prix du gaz et de l’électricité entraîne une augmentation rapide de l’inflation globale. En septembre, l’inflation a atteint 2,9% en Belgique et même 3,4% dans la zone euro, soit son niveau le plus élevé depuis 2008. Une courte période d’inflation élevée ne fait certes pas de tort, mais si la situation se prolonge, elle pourrait peser sur la reprise économique. En particulier, les ménages à plus faibles revenus, qui n’ont pas pu épargner pendant les confinements, ont moins d’argent pour consommer.
Les petites entreprises et les consommateurs industriels sont également mis à mal par la flambée des prix de l’énergie. Surtout dans les secteurs qui consomment de grandes quantités de gaz ou d’électricité, comme l’horticulture, la métallurgie et la chimie. Les marges bénéficiaires sont mises sous pression et certains grands consommateurs tels que BASF et Nyrstar doivent déjà réduire leur production en raison des coûts énergétiques élevés.
Par conséquent, plusieurs pays prennent des mesures pour que la facture énergétique reste abordable pour les ménages et les entreprises. La France limite l’augmentation des prix du gaz jusqu’en avril prochain et réduit les taxes sur l’électricité. L’Italie et les Pays-Bas ont réservé des fonds pour aider les personnes aux revenus les plus faibles à payer leurs factures d’énergie. Dans son récent accord budgétaire, le gouvernement fédéral belge prévoit une enveloppe de 760 millions d’euros pour alléger les coûts énergétiques en étendant le tarif social à quelque deux millions de Belges. Des mesures seront également prises pour réduire la facture de l’ensemble des ménages et des entreprises. L’année prochaine, le gouvernement De Croo va transformer les taxes fédérales sur l’énergie en accises. Ce tax shift permet au gouvernement de réduire temporairement les accises et d’amortir ainsi les fortes variations de prix sur les marchés de l’énergie (comme ces dernières semaines).
La semaine dernière, les chefs de gouvernement européens se sont réunis en Slovénie pour chercher des solutions européennes à la crise du gaz. Les pays du sud de l’Europe, en particulier, appellent à adopter une approche commune face aux prix élevés du gaz. La France et l’Espagne proposent des achats groupés et une augmentation des stocks stratégiques de gaz au niveau européen, pour éviter que les lumières de l’UE ne s’éteignent. Aucune approche unique n’a encore été adoptée, mais la Commission européenne présentera cette semaine une «boîte à outils» énergétique. Les États membres pourront choisir des mesures dans cette boîte à outils pour protéger les groupes vulnérables au cours de l’hiver prochain. À plus long terme, la présidente de la Commission, Ursula Von der Leyen, invite les pays à investir davantage dans les sources d’énergie renouvelables, telles que l’énergie éolienne ou solaire, afin d’être moins vulnérables aux augmentations de prix des combustibles fossiles.
Les contrats à terme pour le gaz sur les marchés de l’énergie indiquent que les prix resteront élevés cet hiver, mais qu’ils commenceront à baisser à nouveau au printemps 2022. Toutefois, il ne faut pas sous-estimer la probabilité que d’autres crises similaires se produisent à l’avenir, selon les experts. Dans la première phase de la transition vers une économie à faible émission de carbone, le gaz naturel continuera à jouer un rôle important, car il peut remplacer les combustibles fossiles les plus polluants, comme le charbon et le pétrole brut. Si l’Europe ne parvient pas à élaborer une stratégie commune à long terme, les factures énergétiques élevées pourraient finir par miner le soutien à la lutte contre le réchauffement climatique.
Mais il faudra d’abord passer cet hiver.