21 octobre 2021
Frank Maet
Senior Macro Economist @Belfius
Véronique Goossens
Chief Economist @Belfius
Tout le monde se tracasse des cadeaux pour les fêtes de fin d’année dont la livraison risque d’être retardée, voire carrément de passer à la trappe. Tout cela parce que le transport outre-mer, qui représente plus de 80% du commerce mondial, est mis à rude épreuve. Le trafic de conteneurs maritimes de la Chine vers les États-Unis et l’Europe connaît d’interminables retards, générant des pénuries de nombreuses marchandises. Tous sont affectés par cette situation: consommateurs, magasins et industrie.
Face au manque de porte-conteneurs, les grandes entreprises se mettent à la recherche d’alternatives pour approvisionner les magasins de leurs produits. Coca-Cola a décidé de s’écarter littéralement des procédés (entendez ‘conteneurs’) habituels et de recourir à des vraquiers pour acheminer des ingrédients destinés à ses boissons rafraîchissantes. Ikea compte, de son côté, transporter davantage par le rail afin de compenser les retards. Mais les plus durement touchés sont les plus petites entreprises et les détaillants, nombreux à ne pas pouvoir se permettre ces solutions. Ils sont en effet confrontés à des frais de transport faramineux et à d’importantes pénuries. Les tarifs pour le transport de conteneurs depuis la Chine vers l’Europe a pratiquement septuplé en un an de temps..
Aux problèmes de trafic maritime s’ajoute la congestion portuaire. Dernièrement, au moins 20 porte-conteneurs navigant vers des ports européens ont dû jeter l’ancre dans l’attente qu’une place d’amarrage se libère. Au port d’Anvers, il faut compter un retard moyen de 18 jours pour décharger les navires. La situation est encore plus catastrophique aux États-Unis. Plus de 50 grands porte-conteneurs attendent devant le complexe portuaire de Los Angeles (le plus fréquenté des USA) pour pouvoir accéder au port. Le chaos logistique s’explique également par une pénurie de manutentionnaires et de chauffeurs routiers pour acheminer les marchandises à l’intérieur des terres. Les firmes de transport américaines dénoncent le manque cruel de candidats (1 seul pour 10 postes vacants) dans le secteur des transports..
Ces encombrements ne pouvaient pas plus mal tomber pour l’économie américaine, à l’approche des préparatifs de la longue saison d’hiver qui commence par Thanksgiving et le Black Friday. Le président Joe Biden tente, avec l’aide des syndicats portuaires et des entreprises du secteur logistique, de trouver une solution à ces retards. Le port de Los Angeles sera désormais opérationnel 24 heures sur 24, de même que les grands transporteurs Fed-Ex et UPS, afin d’accélérer l’approvisionnement des rayons des magasins..
Reste à voir toutefois si cette solution sera efficace. D’après les experts, la crise des conteneurs risque de durer encore un certain temps. DP World, leader mondial dans le domaine des terminaux à conteneurs, souligne que les chaînes d’approvisionnement mondiales pourraient encore connaître des goulots d’étranglement durant deux ans. En effet, le reste du monde reste fortement dépendant de la Chine pour sa production. Fin 2019, c’est-à-dire juste avant la crise sanitaire, le pays représentait 28,7% de la production industrielle mondiale. Ces derniers mois, la croissance économique de l’usine du monde s’est fortement essoufflée. Si la faillite imminente du géant immobilier Evergrande n’y est pas étrangère, les énormes pénuries d’énergie, de matières premières et de puces informatiques suscitent la plus vive inquiétude, car les usines chinoises ne sont plus en mesure de tourner à plein régime. .
Outre la pénurie de géants des mers pour assurer le transport des marchandises, celle des puces est actuellement la plus grave. La pénurie mondiale de puces informatiques a des répercussions sur la fabrication d’un large éventail de produits, depuis les voitures jusqu’aux consoles de jeux. Le géant taïwanais de puces, TSMC, pense que la pénurie de puces sera encore d’actualité l’année prochaine et qu’elle pèsera sur la relance, même plus près de chez nous. Les constructeurs automobiles en République tchèque, en Allemagne et au Royaume-Uni sont contraints de restreindre leur production, faute de disposer de puces informatiques en suffisance. Le groupe Umicore spécialisé dans la technologie des matériaux et le groupe d’électronique Philips ont été obligés, face à la pénurie de puces, de modérer leurs prévisions bénéficiaires pour le troisième trimestre. Les enquêtes menées auprès d’entreprises soulignent depuis un certain temps que les problèmes d’approvisionnement risquent de freiner la reprise industrielle dans la zone euro. En Allemagne, les économistes de l’influent institut IFO craignent une véritable «récession» dans le secteur et ont revu largement à la baisse les prévisions de croissance pour 2021..
Il était déjà évident que les pénuries mondiales des porte-conteneurs, des puces et de toute une série d’autres produits occasionneraient de fortes hausses de prix et une poussée inflationniste. À présent, ces pénuries risquent aussi d’affecter la reprise économique. D’ailleurs, les craintes de stagflation – une dangereuse combinaison de croissance stagnante et d’inflation élevée – commencent à se ressentir sur les marchés financiers. Le genre de cadeau dont on se passerait bien pour Noël!