4 novembre 2021
Frank Maet
Senior Macro Economist @Belfius
Mission accomplie. Dès ce mois-ci, la Réserve fédérale entame le démantèlement de ses achats d’obligations qui étaient destinés à tempérer la crise du Covid-19. Depuis mars de l'année dernière, la banque centrale achetait chaque mois pour 120 milliards de dollars d'obligations d'État et d’autres titres. Cet argent était injecté dans les marchés financiers pour maintenir les rendements obligataires à un niveau relativement bas, pendant que l'économie se remettait des mesures Covid-19. Entre-temps, il semble que le pire de la crise sanitaire soit derrière nous et que l'économie américaine se soit remise en grande partie de la pandémie. Au printemps dernier, l’économie avait déjà renoué avec son niveau d’avant la crise. Après plusieurs mois de discussion, les administrateurs de la Fed ont donc finalement tranché. Il est temps de lancer le ‘tapering’, c’est-à-dire la réduction des achats mensuels destinés à soutenir l’économie. Dès novembre, ces achats seront réduits chaque mois de 15 milliards de dollars, ce qui devrait mener à un achèvement du programme d’ici juin 2022.
À présent, la Fed peut concentrer toute son attention sur la prochaine étape de la normalisation de sa politique monétaire : le relèvement de ses taux directeurs. Les marchés financiers tablent sur le fait que le ‘lift-off’ – le premier relèvement des taux – viendra relativement vite après la fin des achats d'obligations. Les Eurodollar-Futures, une jauge suivie de très près pour les attentes en termes de taux, anticipent que d’ici fin 2022 le taux directeur sera supérieur de près de 0,50 % à son niveau actuel.
La spéculation sur les taux a fortement augmenté car, depuis le printemps, l’inflation aux USA atteint plus du double de l'objectif de 2 % de la banque centrale. Les graves perturbations des approvisionnements en marchandises, combinées à la forte demande des consommateurs, font grimper les prix en flèche dans de nombreux secteurs. L'inflation élevée est de plus en plus préoccupante et, combinée à une hausse accrue des salaires sur le marché de l’emploi, elle booste les attentes inflationnistes. Les investisseurs estiment que cela va contraindre la Fed à relever les taux d’intérêt plus tôt et plus rapidement qu’on ne le pensait. D'autres banques centrales, comme celles de l'Australie, du Canada et du Royaume-Uni, envisagent actuellement de relever leurs taux pour freiner la hausse de l'inflation.
Mais à Washington, la banque centrale trouve que ce n’est pas encore nécessaire. Selon Jerome Powell, président de la Fed, il n’est pas urgent de relever les taux car l'inflation élevée est due à des facteurs transitoires. Il s'attend à ce que les problèmes mondiaux de distribution des matières premières et des marchandises disparaissent dans le courant de l'année prochaine. C'est également le cas pour les hausses de prix liées à la réouverture de l'économie. La Fed prévoit donc que la pression inflationniste retombera à nouveau en 2022, mais cela prendra plus de temps que prévu. Le raisonnement n'a pas pu convaincre les marchés des taux. Même après les explications fournies par Jerome Powell, ils ont continué à prendre en compte des hausses de taux au deuxième semestre de l'an prochain.
Outre l'incertitude relative à l'évolution des taux, on ignore aussi qui dirigera la banque centrale l’année prochaine. Le mandat de l’actuel président ‘Jay’ Powell viendra à expiration en février et le président Joe Biden ne s’est pas encore prononcé quant à une éventuelle reconduction. Ces dernières semaines, Jerome Powell a été sous le feu des critiques après que deux gouverneurs régionaux de la banque centrale ont été contraints de démissionner. Tout cela a alimenté les spéculations au sujet de sa succession. Un argument plaide en faveur du renouvellement du mandat de Jerome Powell : l’incertitude qu'un changement de leadership pourrait entraîner à un moment sensible pour l'économie américaine. Car la Fed est confrontée à un dilemme majeur. Si elle relève les taux de manière agressive en un laps de temps trop court, cela peut compromettre la reprise économique. Si elle réagit trop lentement, les décideurs politiques risquent de ne plus pouvoir faire rentrer le génie de l'inflation dans sa bouteille.