20 avril 2023
Frank Maet
Senior Macro Economist @Belfius
Véronique Goossens
Chief Economist @Belfius
Il faut accélérer la réduction des émissions générées par nos bâtiments et par le transport routier. En 2021, le chauffage (et la climatisation) des habitations et le transport routier représentaient à eux seuls 37 pour cent des émissions de gaz à effet de serre en Belgique. Et en plus, les émissions produites par le transport routier n’évoluent pas dans le bon sens. Depuis 1990, les émissions de CO2 dues au trafic sur les routes européennes ont bondi de 24 pour cent. Des moteurs et dispositifs d’échappement plus efficaces ont permis de réduire la pollution par voiture ou par camion, mais cet effet a été plus qu’annihilé par un nombre sans cesse croissant de voitures et une forte hausse du transport routier.
Pour inverser cette tendance, l’Europa propose ETS II, un nouveau système d’échange de quotas d’émission pour les secteurs du bâtiment et du transport routier, dans le cadre de «Fit for 55» («Ajustement à l'objectif 55»). Il s’agit d’un vaste paquet de mesures, adopté cette semaine à une large majorité par le Parlement européen. L'objectif ultime consiste à réduire les émissions de gaz à effet de serre d'au moins 55 pour cent d'ici 2030.
Avec ETS II, l'Europe copie en partie le système EU-ETS initial (aussi dénommé en français «SEQE de l’UE», pour «système d'échange de quotas d'émission de l'UE»). Ce programme a été lancé en 2005 et s'applique à l'industrie lourde, au secteur de l'énergie et à l'aviation. Chaque année, le total des émissions maximales est déterminé et réparti entre les pays, lesquels répartissent à leur tour ces émissions entre les entreprises. Les entreprises qui émettent plus de CO2 qu’autorisé doivent racheter des quotas d’émission via des mises aux enchères ou échanges. De cette manière, offrants et demandeurs échangent des quotas d'émission, donnant ainsi lieu à un prix du CO2. C’est le principal outil dont dispose l’UE pour s’attaquer aux réductions d’émissions et, depuis son lancement, ce système a permis de réduire les émissions de l’UE de 41 pour cent. L’idée d’appliquer ce système à d'autres secteurs polluants est donc tout sauf mauvaise.
Dans le cadre d’ETS II, les fournisseurs de carburants pour les secteurs du bâtiment et du transport routier devront aussi acheter des quotas d'émission. La différence avec ETS I, c’est que le prix de ces quotas d’émission sera plafonné jusqu’en 2030. Si le prix dépasse le niveau de 45 euros par tonne de CO2, l'UE libérera davantage de quotas d’émission pour faire à nouveau baisser le prix.
Le Parlement européen s’est mis d'accord sur le lancement du système ETS II en 2027, et même en 2028 seulement, si les prix de l’énergie sont exceptionnellement élevés. C'est une échéance postérieure à celle proposée par la Commission européenne elle-même. Cet hiver, les prix du gaz et de l'électricité ont plongé, mais ils restent deux fois plus élevés que durant les années pré-Covid-19. La guerre en Ukraine continue de faire planer la menace d’une crise énergétique en Europe. C'est pourquoi la date de lancement a été postposée. En effet, l'introduction d'une nouvelle taxe environnementale supportée par les ménages, alors que les prix de l'énergie sont déjà élevés, pourrait entraîner des protestations et une résistance politique. On pense notamment au mouvement de protestation des gilets jaunes.
Car ça ne fait aucun doute: avec ETS II, la facture des émissions sera aussi plus élevée pour les ménages. Les coûts à supporter par les stations-service et les fournisseurs d'énergie pour acheter les quotas d'émission se répercuteront sur les consommateurs. En Belgique, la taxation à la pompe est déjà conséquente, vu le montant élevé des accises. À l’avenir, en principe, le gouvernement pourrait les réduire, dans la mesure où ETS II fera augmenter les prix de l'essence et du diesel. Par contre, chez nous, la taxe environnementale sur le mazout et le gaz de chauffage des bâtiments est relativement faible par rapport au reste de l'Europe. L’arrivée d’ETS II devrait booster ces prix, les alignant ainsi davantage sur la moyenne européenne.
Le but de l'UE est de renchérir les carburants polluants, pour inciter les consommateurs à se tourner vers des alternatives plus propres. Mais cela ne peut se faire qu’en accordant toute l’attention requise aux catégories sociales dont les revenus sont les plus faibles.
Les ménages vulnérables sur le plan financier vivent souvent dans des logements mal isolés, qu'ils louent généralement, ce qui les empêche d'investir pleinement dans des travaux de rénovation énergétique ou des panneaux solaires. Pour soutenir les ménages et les micro-entreprises les plus vulnérables, il a été décidé de créer un fonds social pour le climat, financé en majeure partie par les recettes provenant des quotas d’émission dans le cadre d’ETS II. Les États membres pourront utiliser cet argent pour des aides au revenu et des investissements visant à accroître l'efficacité énergétique des bâtiments et des transports.
Avec ETS II, dès 2027, l’Europe impose également un coût à la pollution produite par le trafic routier et par nos bâtiments. En fait, dans sa formule actuelle, le système sera proche d'une taxe carbone avec un niveau de prix maximum de 45 EUR/tonne, en tout cas jusqu'en 2030. À partir de cette date, plus aucun plafond de prix n'est prévu. Les experts s'accordent à dire qu'un prix de 45 EUR/tonne est un incitant relativement faible pour amener les consommateurs européens à modifier leur comportement. En effet, aujourd'hui, les quotas d'émission dans le système ETS initial coûtent plus de 90 euros la tonne (voir graphique).
Avec un prix-plafond de 45 EUR/tonne, il est vraisemblable qu’ETS II devra attendre 2030 pour provoquer un véritable «switch» vers des alternatives à faible teneur en carbone dans les secteurs concernés. Il s'agit néanmoins d'un pas dans la bonne direction. Si les États membres adoptent les propositions, un coût plus élevé sera appliqué à environ 75 pour cent des émissions au sein de l’UE. L'objectif étant de décourager l'utilisation de carburants fossiles et d’atteindre les objectifs climatiques. Et la crise énergétique de 2022 l’a montré: les incitants financiers sont extrêmement efficaces dès lors qu’il s’agit de modifier nos comportements.
L’an dernier, sous la pression des prix élevés du gaz et de l'électricité, nous avons réalisé des économies d'énergie massives. En 2022, les ménages et les PME ont consommé 20 pour cent de gaz naturel en moins par rapport à l'année précédente. On a baissé le thermostat, ressorti plaids et gros pulls, et investi en masse dans des panneaux solaires. ETS II donne aux Européens le signal qu'ils doivent poursuivre leurs efforts en matière de développement durable. Si l'on accorde suffisamment d'attention aux plus faibles dans la société, le passage de l'énergie fossile à l'énergie renouvelable est un gage de «win-win» en termes de climat et de prospérité.
Ce document, rédigé et publié par Belfius Banque contient pas de conseil en investissement personnalisé, pas de recommandation d’investissement, ni de recherche indépendante en matière d’investissement. Si vous êtes à la recherche de conseils en investissement personnalisés, vous pouvez vous adresser à votre conseiller financier, qui se fera un plaisir d’examiner avec vous les effets éventuels de cette vision sur votre portefeuille d’investissements personnel. Les chiffres mentionnés sont des instantanés et sont susceptibles d’évoluer.